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Sévère Alexandre

(Marcus Aurelius Severus Alexander, 222 à 235)



Sévère Alexandre s'appelait, en fait, Julius Gessius Bassianus Alexianus. C'était le fils de Julia Mammaea, elle-même tante de l'empereur Élagabal (ou Héliogabale). Par sa mère, le petit Julius Gessius était aussi l'arrière petit-fils du beau-père de Septime Sévère.

Le 26 juin 221, soit quelques mois seulement avant de périr, massacré par la foule romaine, Élagabal, soumis à la double pression de son autoritaire grand-mère Julia Moesa et des redoutables légions, adopta son cousin Julius. Élevé au rang de César, ce jeune garçon un peu falot partagea désormais le trône avec son "père" Élagabal qui n'avait que six ans de plus que lui. Cette autorité demeura cependant toute théorique car tout le pouvoir restait entre les mains de l'armée et des femmes de la famille impériale, sa grand-mère Julia Moesa et sa mère Julia Soaemias. L'empereur Élagabal, si débauché, et son pâle associé n'étaient que des fantoches.

C'est à cette époque que, pour des raisons de propagande politique, le nom de ce Julius Gessius fut modifié. Pour maintenir la fiction d'une continuité avec la prestigieuse dynastie des Antonins, on le bombarda d'abord du nom de Marc Aurèle (Marcus Aurelius), qu'avait déjà usurpé son cousin et père adoptif Élagabal. Ensuite, afin de placer ce triste adolescent sous de glorieux auspices, on modifia le surnom Alexianus en Alexander (Alexandre). Enfin, pour faire bonne mesure, on y ajouta encore "Sévère", nom de la dynastie fondée par son grand-oncle Septime. C'est ainsi le prince syrien Julius Gessius Bassianus porta désormais le nom bien gréco-romain de Marcus Aurelius Severus Alexander. (À noter que bien qu'on puisse dire "Sévère Alexandre" ou "Alexandre Sévère" puisqu'il s'agit de deux surnoms, les critiques historiques modernes préfèrent la première formulation : "Sévère Alexandre").

Après la mort de son cousin (11 mars 222), Alexandre monta sous le trône.

Agé de quatorze ans à peine, ce ne fut, naturellement pas lui qui exerça le pouvoir. Comme sous le règne d'Élagabal, ce furent les matrones, en l'occurrence sa mère, Julia Mammaea et sa grand-mère Julia Moesa qui gouvernèrent. Elles s'entourèrent de conseillers, les juristes Ulpien et Paul, qui tentèrent d'établir un régime stable en rendant son importance au Sénat. Vaine tentative ! Après les épurations de Septime Sévère et de Caracalla, le Sénat ne comptait plus que pour du beurre. Quant au pouvoir impérial, personnifié par cet empereur trop mou, trop faible et trop influençable, il s'avéra incapable d'imposer son autorité aux toutes-puissantes légions, cette composante anarchique de l'État romain du IIIe siècle.

Malgré les panégyriques de ses biographes, la vie du pauvre empereur Sévère Alexandre ne semble avoir été qu'une longue suite de lâches abandons, face à la terrifiante armée qui l'avait porté au pouvoir ou devant sa non moins redoutable mère, la très possessive et très jalouse Julia Mammaea.

Par exemple, Alexandre avait épousé la fille d'un patricien. Mais Mammaea, jalouse de ses prérogatives d'impératrice, ne parvint jamais à "encadrer " sa bru, ne reculant devant aucune vexation pour se débarrasser de cette mijaurée qui lui disputait l'amour de son fils. Le beau-père de l'empereur commit alors une erreur fatale : irrité de toutes les avanies que la mégère infligeait à sa petite fille chérie, il alla se plaindre au camp des prétoriens. Grosse bêtise ! Mammaea l'accusa de haute trahison. Il fut exécuté sans autre forme de procès tandis que sa pauvre fille (pourtant impératrice en titre) était bannie chez les sauvages d'Afrique où les mauvais traitements eurent bien vite raison de sa santé. Quant à Alexandre, terrifié par sa gorgone de mère, il ne leva pas le petit doigt pour sauver son infortunée jeune épouse

Autre exemple de la nonchalance de l'empereur : Il avait, nous l'avons signalé, pris comme conseiller, voire comme mentor, le célèbre jurisconsulte Ulpien, un homme de bien, fort savant et estimé de tous. Mais celui-ci voulut (comme tant d'autres avant lui) restaurer la discipline de l'armée. Mal lui en prit ! Ses méthodes autoritaires firent de lui la bête noire des soldats qui, funeste habitude, se mutinèrent. Déchaînés et ivres de carnage, ils pourchassèrent l'homme de loi dans les couloirs du palais impérial, jusque dans les appartements de l'empereur et là, ils l'égorgèrent comme un mouton aux pieds de celui dont il avait été le fidèle serviteur et qui ne fit pas un geste, ne prononça pas une parole pour tenter de le sauver.

Tel était ce souverain : un adolescent attardé, marionnette aux mains de sa mère et fantoche pathétique face à l'armée.

Et pourtant, ses biographes le décrivent comme un être intelligent, cultivé, pieux, vertueux, consciencieux et travailleur. Parmi tous les historiens antiques, seul Hérodien dresse un portait un peu plus nuancé de Sévère Alexandre. L'historien grec, contemporain des faits qu'il relate, présente ce souverain comme un brave jeune homme, certes, mais timide, hésitant, et d'une couardise innée, encore renforcée du fait que sa mère, dominatrice et soucieuse de gouverner en son nom, lui interdisait formellement de s'exposer quand il était aux armées… Ce qui n'était pas fait pour rehausser son prestige auprès des militaires.

Le témoignage d'Hérodien reste isolé car pour tous les autres historiens, il n'y a pas l'ombre d'un doute, Sévère Alexandre fut bien le souverain idéal. Ils iront même jusqu'à prétendre que la campagne que Sévère Alexandre mena en Mésopotamie (231) se termina par la victoire éclatante des armes romaines, alors qu'en fait, elle se solda par un échec. Les armées romaines, qui affrontaient pour la première les Perses Sassanides (qui venaient supplanter les cavaliers Parthes dans cette partie du monde) furent défaites. Quant au piteux empereur, qui, prétendument, supportait mal le climat, il planta là ses soldats en déroute et alla se refaire une santé loin du front, dans la riche métropole syrienne d'Antioche.

Dans ces conditions, on comprendra que sa deuxième campagne militaire fut fatale à Sévère Alexandre.

Comme les Germains s'agitaient sur la frontière du Rhin, le jeune empereur concentra toutes ses troupes aux environs de Mayence. Mais au lieu se partager les souffrances de ses soldats, cet Imperator d'opérette passait son temps à discutailler avec sa mère dans sa tente luxueuse, ou s'amusait à des courses de chars et à d'autres plaisirs moins avouables. Et surtout, au lieu de combattre l'ennemi et d'en finir une bonne fois avec ces Barbares arrogants, Sévère Alexandre recevait des émissaires ennemis et parlait d'acheter la paix à grand prix… Comme il l'avait déjà fait sur le front oriental. Les légionnaires, qui pensaient être à nouveau privés de gloire et de butin, se rassemblèrent autour d'un de leurs chefs, le gigantesque Maximin le Thrace et décidèrent de se débarrasser de leur faible empereur et de son entourage de dégénérés.

Aux dires de l'historien grec Hérodien, Sévère Alexandre mourut aussi pitoyablement qu'il avait vécu. Quand les soldats en armes pénétrèrent dans sa tente, il s'effondra. Pleurnichant, suppliant, il accusa sa mère de tous les maux et implora la grâce de ses exécuteurs. Il va de soi que ce manque de fermeté exacerba encore davantage le ressentiment des légionnaires. Se demandant sans doute comment ils avaient supporté aussi longtemps la présence d'un tel lâche à leur tête, ils le passèrent au fil de l'épée, lui, sa mère et ses amis (mars 235).

Envers les Chrétiens, comme pour le reste d'ailleurs, Sévère Alexandre se conforma scrupuleusement à l'attitude et aux prescriptions de sa maman qui, quant à elle, s'entendait fort bien avec eux.

Il faut dire que la famille impériale connaissait sans doute le mouvement chrétien de longue date : les Bassianus n'étaient-ils pas originaires d'Émèse, en Syrie…comme le pape Anicet qui gouverna l'église romaine de 155 à 166 ? On peut donc supposer qu'il y avait des Chrétiens à Émèse dès le IIe siècle et que la famille de Julia, qui présidait héréditairement aux destinées de la ville, ne pouvait ignorer ni leur présence ni leurs agissements.

En outre, dans les années 218, Julia Mammaea, qui se trouvait à Antioche avec son fils, y fit venir le savant exégète chrétien Origène afin qu'il prodigue quelques leçons au jeune Alexandre ; qu'il "l'instruise dans tout ce qui pouvait servir à glorifier le Seigneur et à confirmer ses enseignements divins", dira Eusèbe de Césarée (Hist. Ecclés., VI, 21-22).

Plus tard, en 224, Hippolyte de Rome dédicacera son traité "Sur la Résurrection" à la mère de l'empereur.

Origène, Hippolyte… Julia Mammaea connaissait son Who's Who chrétien sur le bout des ongles. L'historien ecclésiastique Eusèbe de Césarée précise d'ailleurs que c'était "une femme très religieuse".(Hist. Eccles. VI, 21-28).

Outre le fait que la secte lui était familière, Julia Mammaea avait d'autres fort bonnes raisons, d'ordre politique celles-là, de favoriser les Chrétiens. Mégère, mais femme de tête, elle était parfaitement consciente que ce puissant mouvement politico-religieux pouvait devenir un soutien fort appréciable pour la toute récente dynastie des Sévères.

Les motifs de rapprochement ne manquaient pas : la dynastie des Bassianus-Sévère n'était-elle pas originaire, comme le christianisme, de cet Orient où les Chrétiens étaient déjà très nombreux ? Déracinée à Rome, la famille impériale n'était-elle pas, elle aussi, comme les Chrétiens, en butte au mépris, à peine dissimulé, des "Vieux Romains" qui méprisaient cordialement toute cette décadence exotique ? Enfin, si les Chrétiens redoutaient la mise en place d'un pouvoir civil plus autoritaire, Julia Mammaea n'était-elle pas, elle aussi, inquiète de voir grandir de jour en jour l'influence de militaires arrogants et ambitieux ?

À l'égard des Chrétiens, la tolérance resta donc, plus que jamais, à l'ordre du jour. Néanmoins, si le vieux rescrit de Septime Sévère qui restreignait l'activité des Chrétiens ne fut pas frappé d'irrégularité (il fut même soigneusement compilé par le savant jurisconsulte Ulpien) les autorités impériales se gardèrent bien de l'appliquer... La politique de la carotte et du bâton !

Si l'on en croit les assertions du très peu fiable et très tardif auteur de l'Histoire Auguste (début du Ve siècle) Sévère Alexandre aurait, à titre privé, pratiqué un genre de syncrétisme religieux. Dans son oratoire privé, l'empereur aurait placé les statues d'Abraham, d'Orphée, d'Apollonios de Tyane et de Jésus-Christ.

La même source prétend aussi qu'il aurait fait graver sur les murs du palais et sur les édifices publics la sentence de l'Évangile (Luc, 6 : 31) : "Ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le de même pour eux" ; et également qu'il caressa un temps l'idée de construire une église chrétienne à Rome, mais qu'il n'osa réaliser son projet de peur que les autres dieux ne soient courroucés par cette concurrence déloyale.

Faut pas pousser bobonne ! À mon avis, ces deux anecdotes, très peu vraisemblables, témoignent seulement de la nature éclectique des croyances d'Alexandre

Retenons simplement que, sous le sceptre bienveillant de Sévère Alexandre (et surtout sous celui de sa mère), les Chrétiens vécurent en paix… Comme ce fut d'ailleurs le cas sous presque tous ses prédécesseurs.

Terminons-en avec ce faible empereur en relatant une dernière anecdote, toujours tirée de la très controversée Histoire Auguste.

Au début de son règne, Sévère Alexandre eut à arbitrer un conflit qui opposait les Chrétiens de Rome à la puissante corporation des popinarii (tenanciers de bistrots-tavernes-bordels). Voilà de quoi il s'agissait : Lors des troubles qui avaient suivi la mort d'Élagabal, la foule déchaînée s'était emparée du pape Calixte et l'avait martyrisé en le jetant, du haut d'une fenêtre, pile au fond du puits d'une taverne. Or, les Chrétiens auraient bien voulu exproprier le cabaretier pour édifier un petit oratoire à cet endroit. Mais la corporation des bistrotiers, elle, défendait bec et ongle son camarade syndiqué, s'opposait fermement au projet immobilier chrétien et refusait de céder le terrain.

Il revint à l'empereur Sévère Alexandre, de trancher le litige et son jugement fut, paraît-il, favorable aux Chrétiens : "Le culte de n'importe quel dieu vaut mieux qu'un bordel", aurait-il dit en substance.(Histoire Auguste, Sévère Alexandre, XLIX)

On ne peut que lui donner raison.



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