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Dioclétien

(Caius Aurelius Valerianus Diocletianus, 284 à 305)




Notice biographique

De naissance modeste, Dioclétien se distingua sous Probus et Aurélien. Il fut proclamé empereur par ses soldats à la mort de Numérien.

Après s'être débarrassé du frère de ce dernier, Carin, il partagea la pourpre avec Maximien, qu'il promut César, puis Auguste (285).

En Gaule, Maximien réprima la révolte des Bagaudes et repoussa les Germains au-delà du Rhin. En Orient, Dioclétien en personne reprit une partie des territoires de Mésopotamie et étendit son protectorat sur l'Arménie.

La seconde partie du règne (293-305) débuta avec l'établissement de la tétrarchie.

Pour faire face aux dangers nouveaux qui menaçaient l'Empire (usurpation de Carausius en Bretagne, offensive perse en Orient), Dioclétien désigna deux Césars, Constance Chlore et Galère, en qualité d'adjoints des deux Augustes.

Dioclétien adopta Galère et Maximien, Constance Chlore.

De 293 à 296, Constance pacifia la Gaule et la Bretagne.

Pendant ce temps, Maximien contint les Germains, puis rétablit l'ordre en Afrique du Nord. En Orient, Galère pacifia les régions danubiennes, tandis que Dioclétien lutta contre le roi de Perse Narsès, réoccupant toute la Mésopotamie et établissant le protectorat de l'Empire sur l'Arménie et l'Ibérie.

Après 297, Dioclétien se consacra à la réorganisation générale de l'Empire.

Il prépara la séparation de l'armée sédentaire des frontières et de l'armée mobile de l'intérieur, qui fit fonction de réserve. Il accrut le nombre des unités combattantes. Il morcela et multiplia les provinces, mais les regroupa en douze diocèses.

Le réseau routier fut rénové.

À Rome, les monuments furent restaurés et de nouveaux thermes édifiés.

Les impôts furent réorganisés. De nouveaux ateliers monétaires frappèrent de nouvelles pièces. Pour arrêter la hausse des prix, un montant maximum des prix de vente fut fixé (Édit du Maximum, 301). Il s'avéra d'ailleurs totalement inefficace.

Dans le domaine religieux, Dioclétien persécuta les manichéens en 297 et les Chrétiens à partir de 303. (Voir : Persécution de Dioclétien)

Dioclétien, vieilli et usé par le travail, abdiqua en 305, ainsi que Maximien. Il se retira près de Salone, dans un magnifique palais qu'il s'était fait construire et dans les ruines duquel s'est édifiée la ville de Spalato (Split).


La persécution de Dioclétien

Brutalement, fin 302 - début 303, éclate contre les Chrétiens la plus brutale des persécutions. En fait, il s'agit là de la seule mesure (à peu près) historiquement avérée de répression générale prise par les Romains contre les tenants de la nouvelle Foi.

Le pape Marcellin abjure alors la foi chrétienne, sacrifie aux dieux, et meurt dans son lit tandis que des centaines (des milliers peut-être) de ses coreligionnaires, plus courageux (ou plus fanatisés) que leur chef, périssent sur l'échafaud, gagnant ainsi, par le baptême du sang, les lauriers du martyre.

Les historiens se perdent en conjectures quant aux motifs de cette persécution inouïe, tant restent floues les motivations réelles de l'empereur et de son entourage. Bien que, pour des raisons politiques, Dioclétien revendiquât hautement sa filiation divine, ce prosaïque empereur était à mille lieues de tout fanatisme "païen". En outre, son épouse Prisca ainsi que sa fille Valéria étaient sans doute chrétiennes… Jusqu'au pape saint Caius (283 - 296) qui faisait probablement partie de la famille impériale.

Selon l'explication couramment admise, Dioclétien se serait décidé à sévir contre les Chrétiens d'abord par souci d'unification idéologique ("Un seul empire, une seule religion !"), ensuite parce qu'à ses yeux, la présence de Chrétiens dans l'administration et, surtout, dans l'armée constituait une menace pour l'État.

Voici ce qu'écrivent Jean-Michel Carrié et Aline Rousselle dans un ouvrage récent : "La période tétrarchique fait se succéder à quelques années de distance une mesure d'exclusion des Chrétiens de l'armée impériale et la grande persécution de 303. Le premier événement est datable de 298 d'après Eusèbe et Lactance. De cette même période date l'Édit contre les manichéens, où s'exprime le souci de cohésion morale autour des valeurs romaines de la tradition.

La volonté impériale d'exclure le christianisme de l'armée pourrait être allée dans le même sens. Tantôt cette épuration a été interprétée comme la première étape d'un plan général de mise hors la loi des chrétiens, tantôt on a supposé que les problèmes rencontrés dans l'armée avaient conduit à généraliser la persécution. Un autre facteur est à prendre en compte : dès les premières années de Dioclétien se sont multipliés les actes d'objection de conscience de la part de nouvelles recrues : conséquence, sans doute, du système de conscription qui venait a peine d'être mis en place. Le refus de servir a pu placer le christianisme en position de refuge moral et physique pour les réfractaires et, à l'intérieur des églises, amplifier l'écho des positions doctrinales affirmant l'incompatibilité du service armé avec la Militia Christi." (Jean-Michel Carrié et Aline Rousselle, l'Empire romain en mutation, Édition du Seuil, Coll. Points Histoire, 1999).

Mais si l'insoumission et l'objection de conscience sont sans doute à l'origine de l'épuration de l'armée et peuvent expliquer - du moins partiellement - les "martyrs militaires", quelles raisons trouver à la persécution des prêtres, des croyants et la confiscation des Livres saints ?

Quant à unifier idéologiquement l'Empire grâce à des torrents de sang chrétien, laissez-moi rire ! C'est déjà l'explication couramment ressassée des prétendues "persécutions" de Dèce et de Valérien. Or, ces répressions soi-disant sanglantes et soi-disant purement idéologiques n'avaient pas fait avancer le "schmilblik" d'un pouce ! Ces très hypothétiques tentatives d'unification morale sur le dos des Chrétiens avaient si bien tourné à eau de boudin qu'après quinze années de confusion, Gallien, le fils et successeur de Valérien, avait même été contraint d'accorder un édit de tolérance aux Chrétiens.

Comment un empereur aussi prosaïque que Dioclétien, comment ce souverain viscéralement attaché à l'ordre public et à la stabilité des institutions aurait-il pu ignorer à ce point "les leçons de l'Histoire" ? Comment aurait pu envisager d'utiliser contre les Chrétiens de vieux remèdes inefficaces ? Pourquoi aurait-il remis d'actualité de vieilles recettes qui, sous ses prédécesseurs, n'avaient engendré que chaos et anarchie, pour, finalement, aboutir au résultat inverse qu'escompté ?

Faut-il donc, comme Voltaire, aller presque jusqu'à douter de la réalité de cette persécution ? Relisons ses arguments… Même si la citation est un peu longuette, se délecter d'un passage du Philosophe du Ferney demeure toujours un moment de pur plaisir pour l'esprit.

"Les chrétiens furent bien plus souvent tolérés et même protégés qu'ils n'essuyèrent de persécutions. Le règne de Dioclétien fut, pendant dix-huit années entières, un règne de paix et de faveurs signalées pour eux. Les deux principaux officiers du palais, Gorgonius et Dorothée, étaient chrétiens. On n'exigeait plus qu'ils sacrifiassent aux dieux de l'empire pour entrer dans les emplois publics. Enfin, Prisca, femme de Dioclétien, était chrétienne ; aussi jouissaient-ils des plus grands avantages. Ils bâtissaient des temples superbes, après avoir tous dit, dans les premiers siècles, qu'il ne fallait ni temples ni autels à Dieu ; et, passant de la simplicité d'une église pauvre et cachée à la magnificence d'une église opulente et pleine d'ostentation, ils étalaient des vases d'or et des ornements éblouissants ; quelques-uns de leurs temples s'élevaient sur les ruines d'anciens périptères païens abandonnés. Leur temple, à Nicomédie, dominait sur le palais impérial ; et, comme le remarque Eusèbe, tant de prospérité avait produit l'insolence, l'usure, la mollesse, et la dépravation des mœurs. On ne voyait, dit Eusèbe, qu'envie, médisance, discorde, et sédition.

Ce fut cet esprit de sédition qui lassa la patience du César Maximien-Galère. Les chrétiens l'irritèrent précisément dans le temps que Dioclétien venait de publier des édits fulminants contre les manichéens. Un des édits de cet empereur commence ainsi : « Nous avons appris depuis peu que des manichéens, sortis de la Perse, notre ancienne ennemie, inondent notre monde. » (…)

N'est-il pas bien vraisemblable que les chrétiens eurent assez de crédit au palais pour obtenir un édit de l'empereur contre le manichéisme ? (…) La théologie obscure et sublime des mages, mêlée avec la théologie non moins obscure des chrétiens platoniciens, était bien propre à séduire des esprits romanesques qui se gavaient de paroles. Enfin, puisque au bout d'un siècle le fameux pasteur d'Hippone, Augustin, fut manichéen, il est bien sûr que cette secte avait des charmes pour les imaginations allumées. Manès avait été crucifié en Perse, si l'on en croit Chondemir ; et les chrétiens, amoureux de leur crucifié, n'en voulaient pas un second.

Je sais que nous n'avons aucune preuve que les chrétiens obtinrent l'édit contre le manichéisme ; mais enfin il y en eut un sanglant ; et il n'y en avait point contre les Chrétiens, Quelle fut donc ensuite la cause de la disgrâce des chrétiens, les deux dernières années du règne d'un empereur assez philosophe pour abdiquer l'empire, pour vivre en solitaire, et pour ne s'en repentir jamais.

Les chrétiens étaient attachés à Constance, le père du célèbre Constantin, qu'il eut d'une servante de sa maison nommée Hélène.

Constance les protégea toujours ouvertement. On ne sait si le césar Galerius fut jaloux de la préférence que les chrétiens donnaient sur lui à Constance le Pâle (= Constance Chlore), ou s'il eut quelque autre sujet de se plaindre d'eux ; mais il trouva fort mauvais qu'ils bâtissent une église qui offusquait son palais. Il sollicita longtemps Dioclétien de faire abattre cette église et de prohiber l'exercice de la religion chrétienne. Dioclétien résista ; il assembla enfin un conseil composé des principaux officiers de l'empire. Je me souviens d'avoir lu dans l'Histoire ecclésiastique de Fleury que « cet empereur avait la malice de ne point consulter quand il voulait faire du bien, et de consulter quand il s'agissait de faire du mal ». Ce que Fleury appelle malice, je l'avoue, me paraît le plus grand éloge d'un souverain. Y a-t-il rien de plus beau que de faire le bien par soi-même ? Un grand cœur alors ne consulte personne ; mais dans les actions de rigueur, un homme juste et sage ne fait rien sans conseil.

L'église de Nicomédie fut enfin démolie en 303 ; mais Dioclétien se contenta de décerner que les chrétiens ne seraient plus élevés aux dignités de l'empire : c'était retirer ses grâces, mais ce n'était point persécuter. Il arriva qu'un chrétien eut l'insolence d'arracher publiquement l'édit de l'empereur, de le déchirer, et de le fouler aux pieds. Ce crime fut puni, comme il méritait de l'être, par la mort du coupable. Alors Prisca, femme de l'empereur, n'osa plus protéger des séditieux ; elle quitta même la religion chrétienne, quand elle vit qu'elle ne conduisait qu'au fanatisme et à la révolte. Galérius fut alors en pleine liberté d'exercer sa vengeance.

Il y avait en ce temps beaucoup de chrétiens dans l'Arménie et dans la Syrie : il s'y fit des soulèvements ; les chrétiens même furent accusés d'avoir mis le feu au palais de Galérius. Il était bien naturel de croire que des gens qui avaient déchiré publiquement les édits, et qui avaient brûlé des temples comme ils l'avaient fait souvent, avaient aussi brûlé le palais ; cependant il est très faux qu'il y eût une persécution générale contre eux. Il faut bien qu'on n'eût sévi que légalement contre les réfractaires, puisque Dioclétien ordonna qu'on enterrât les suppliciés, ce qu'il n'aurait point fait si l'on avait persécuté sans forme de procès. On ne trouve aucun édit qui condamne à la mort uniquement pour faire profession de christianisme. Cela eût été aussi insensé et aussi horrible que la Saint-Barthélemy, que les massacres d'Irlande, et que la croisade contre les Albigeois : car alors un cinquième ou un sixième de l'empire était chrétien. Une telle persécution eût forcé cette sixième partie de l'empire de courir aux armes, et le désespoir qui l'eût armée l'aurait rendue terrible.

Des déclamateurs, comme Eusèbe de Césarée et ceux qui l'ont suivi, disent en général qu'il y eut une quantité incroyable de chrétiens immolés. Mais d'où vient que l'historien Zosime n'en dit pas un seul mot ? Pourquoi Zonare, chrétien, ne nomme-t-il aucun de ces fameux martyrs ? D'où vient que l'exagération ecclésiastique ne nous a pas conservé les noms de cinquante chrétiens livrés à la mort ?

Si on examinait avec des yeux critiques ces prétendus massacres que la légende impute vaguement à Dioclétien, il y aurait prodigieusement à rabattre, ou plutôt on aurait le plus profond mépris pour ces impostures, et on cesserait de regarder Dioclétien comme un persécuteur." Voltaire, Examen de Milord Bolingbroke, XXVIII.

Ouf !

Voltaire écrit aussi (Traité sur la Tolérance, IX), que cette "persécution, excitée par Galère, après dix-neuf ans d'un règne de clémence de bienfaits, doit avoir sa source dans quelque intrigue que nous ne connaissons pas".

C'est vrai, il faut parfois faire preuve de modestie. Cette persécution demeure une véritable énigme historique !

Cependant, j'ai moi aussi, de mon côté, élaboré une petite tentative d'explication. Il ne s'agit naturellement que d'une simple hypothèse de travail, mais qui, mon Dieu, en vaut bien d'autres…

Fin de l'année 302, l'adjoint de Dioclétien, le César Galère revient victorieux de la guerre contre les Perses.

Après deux campagnes extrêmement dures, il avait conduit l'Empire romain à l'apogée de son expansion territoriale. Cependant, en dépit de ces succès, une chose avait flanqué la frousse au César Galère : il avait pu mesurer très précisément le danger politique que représentait la présence massive de Chrétiens. En effet, la défaite et l'humiliation du tout-puissant Roi des Rois perse ne trouvait-elle pas sa cause première dans la révolte contre lui du roi Arménien Tiridate, baptisé depuis 288 ?

Et si les Chrétiens de l'Empire romain imitaient les Arméniens et se révoltaient contre Rome ? Vu leur manque flagrant d'esprit patriotique, prouvé par des décennies d'incivisme et quelques trahisons retentissantes, vu leur refus constant de prêter serment à l'État, vu leur influence grandissante, et vu leur présence à tous les niveaux du pouvoir, fruit de quarante années de tolérance, on pouvait craindre le pire si on ne mettait le holà à leurs prétentions.

Agité de ces sombres pensées, Galère demanda à Dioclétien qu'on effectuât une enquête sur les agissements et les projets des Chrétiens. Déjà en 296, alors que, justement, Rome entrait en guerre contre la Perse, l'empereur n'avait-il pas publié un édit proscrivant le manichéisme, précisément parce que cette doctrine, fortement teintée d'éléments iraniens et chrétiens, lui était apparue comme un danger pour l'unité morale de l'Empire ?

Une perquisition à Rome permit de mettre la main sur les archives secrètes et les textes sacrés des Chrétiens. Une réunion du conseil élargi de l'Empire se tint alors à Nicomédie (auj. Izmit, en Turquie) afin de statuer du sort des religionnaires. Or, la seule lecture de l'Apocalypse aurait suffi à effarer tout dirigeant romain : ces fanatiques ne rêvaient que de la ruine de Rome, qu'ils n'hésitaient pas à affubler de doux pseudonyme du genre de "Bête aux Sept cornes" ou de "Grande Pute". De plus, nous pouvons imaginer que l'Apocalypse ne devait pas être le seul document de cet acabit ; il devait encore exister bien d'autres ouvrages chrétiens, peut-être encore plus incendiaires, qui ne nous sont pas parvenus, mais qui tombèrent aux mains des agents de Dioclétien.

Le péril que représentaient ces fanatiques étalé au grand jour, la nécessité d'éradiquer au plus vite cette secte pernicieuse s'imposa à l'empereur et à ses conseillers. Pourtant Dioclétien répugnait à verser le sang : sa femme Prisca et sa fille Valéria avaient des sympathies pour la secte. D'autre part, les Chrétiens, déjà nombreux, riches, puissants et fanatisés, risquaient, si on les provoquait, de fomenter de sanglantes émeutes, voire des sécessions. L'empereur opta donc pour une mesure douce, visant surtout à éviter la propagation d'idées subversives par les dirigeants chrétiens.

Son premier édit, sans menacer l'intégrité des personnes, ordonnait la démolition des églises et la destruction des livres sacrés. Les Chrétiens devaient également être privés de toute charge, dignité ou privilège.

Pour ceux qui trouveraient cette mesure choquante, je rappelle que, à notre époque, mutatis mutandis, nous n'agissons pas différemment quand nous interdisons (ou tentons d'interdire) aux partis extrémistes, fascistes et racistes de vomir leurs idées nauséabondes à la radio et à la télévision ou quand nous essayons d'interdire leurs réunions ou manifestations.

Dioclétien ordonna la démolition de la somptueuse église de Nicomédie, qui se dressait en face de son palais et fit afficher l'Édit, signé de sa main, sur la grand-place de la ville. Un Chrétien fanatique mit en pièces et piétina publiquement et rageusement ce document sacré, tandis que d'autres sectaires tentaient de bouter le feu au palais impérial. Deux fois en quinze jours, des incendies suspects éclatèrent dans la demeure de l'empereur, dont un dans la chambre même de Dioclétien.

Épouvanté par ces actions terroristes et ces crimes de lèse-majesté, Dioclétien mit un bémol à ses craintes, objections et scrupules de conscience. Deux édits aggravèrent le premier : l'un ordonnait l'emprisonnement des clercs, l'autre prévoyait l'exécution de ceux qui refuseraient le sacrifice aux dieux. Enfin, un troisième édit, publié en 304 suite à la révolte armée des évêques de Syrie, ordonna à tous les sujets de l'Empire, sous peine de mort, de sacrifier aux dieux de l'État.

Après avoir pris ces mesures extrêmes, Dioclétien, écœuré des hommes, de leur perfidie et dégoûté des fanatiques de tout poil, renonça à la pourpre impériale et abdiqua. Il laissa cependant en place le système de la tétrarchie : deux empereurs (les "Augustes" Constance Chlore en Occident et Galère en Orient) associés à deux "Césars" (Sévère et Maximin Daïa) gouvernèrent l'Empire, appliquant avec plus ou moins de rigueur, et selon les nécessités politiques, les édits de persécution.

En Orient, les Chrétiens étaient plus nombreux qu'en Occident, et, naturellement, la persécution y fut plus sévère. En général, les édits persécuteurs y furent appliqués avec plus de rigueur, encore qu'on puisse légitimement douter de leur stricte application dans certaines régions où les Chrétiens étaient déjà quasi majoritaires ; le fonctionnaire impérial chargé de l'exécution des ordres impériaux s'y serait fait mettre en pièce avant d'ouvrir la bouche !

À mon avis, la sévérité des mesures prises varia sensiblement selon la présence physique du pouvoir persécuteur ou de son absence. En clair : les magistrats, par peur des représailles, condamnaient les Chrétiens quand l'empereur ou de grands fonctionnaires étaient présents : "Regardez, mes très chers concitoyens, je dois exécuter les ordres, mais je n'approuve pas… Moi, en réalité, les Chrétiens, je les aime plutôt bien !". En revanche, ils faisaient la sourde oreille dès que les dirigeants avaient le dos tourné.

Quoi qu'il en soit, on doit reconnaître que le nombre de victimes fut sans doute assez élevé… Mais ne parlons pas de centaines de milliers de morts. Ce ne fut pas Auschwitz, loin de là ! L'historien de l'Église Eusèbe de Césarée dit que, dans l'ensemble de l'Empire, neuf évêques seulement trouvèrent la mort. D'autre part, comme il parle d'un total de 72 victimes pour la Palestine, une projection (calcul de Gibbon, Histoire du Déclin et de la chute de l'Empire romain) sur base de ce dernier chiffre permet d'estimer à deux mille, au maximum, le nombre total de témoins de la Foi dans tout l'Empire romain de 303 à 313.

Dans la partie occidentale de l'Empire, Constance Chlore (qui mourut en 306) appliqua les édits avec une mollesse extrême, détruisant une église ça et là, mais protégeant les Chrétiens de la fureur populaire. Quant à Constantin, fils de Constance Chlore et de la chrétienne Hélène, il désobéira carrément aux injonctions impériales en favorisant les Chrétiens pour des raisons purement politiques : ceux-ci étaient ses alliés naturels dans sa lutte contre les autres "Césars" persécuteurs.

En Italie, et à Rome, la persécution fut de courte durée : tant que la péninsule fut gouvernée par Maximien et Sévère, les Chrétiens furent inquiétés. Leur situation s'adoucit quand Maxence, fils de Maximien s'empara du pouvoir. Néanmoins, après la mort du très controversé pape Marcellin, qui livra sans doute les Saintes Écritures au pouvoir persécuteur, la chaire de Saint Pierre restera vacante pendant trois ans et demi.

Cependant, dès 308, alors même que les Chrétiens d'Orient continuaient à être cruellement persécutés par Maximin Daïa, ceux de Rome avaient repris leurs disputes dogmatiques.

Les renégats (les lapsi), ces Chrétiens qui avaient obéi aux édits impériaux en sacrifiant aux dieux, étaient très nombreux, et ils souhaitaient ardemment réintégrer sans condition la communion des fidèles. Le pape Marcel, qui venait d'être élu en lieu et place du traître Marcellin, ne l'entendit pas de cette oreille : selon lui, une pénitence était nécessaire. On ignore de quelle nature était cette sanction, mais, à mon avis, cela devait être d'ordre financier : les églises avaient été détruites et devaient être reconstruites. De plus, il fallait aussi reconstituer le stock de livres sacrés, et la retranscription des manuscrits, cela coûtait la peau des fesses ! À propos de fesses, il n'est pas exclu que le pape ait également prévu quelque châtiment corporel pour renforcer en même temps l'âme et le derrière des renégats.

Correction ou amende, qu'importe ! Les lapsi repentis ne furent pas d'accord et le manifestèrent violemment. Des émeutes sanglantes ravagèrent Rome, les Chrétiens s'étripant joyeusement, les mous costauds égorgeant les durs, toujours intransigeants, mais a peine remis des tortures subies. Là-dessus, les milices épiscopales sortirent des catacombes pour défendre ces pauvres "confesseurs de la Foi", tandis que les prêtres incitaient l'un ou l'autre camp, selon leurs préférences respectives, soit à châtier les traîtres, soit à éliminer ces impiteux Chrétiens.

Bref ce fut un bordel épouvantable ! Quoiqu'il se sentît fort peu concerné par les disputes théologiques des Chrétiens, l'usurpateur Maxence, qui gouvernait Rome à cette époque, n'était pas d'humeur à tolérer de tels désordres. Il était en guerre contre ses collègues-rivaux Sévère, puis Galère, et tenait à ce que l'ordre règne dans les territoires qu'il contrôlait. Il prit donc la seule mesure qui s'imposait pour ramener le calme à Rome : il s'empara du pape Marcel et le condamna à nettoyer les écuries impériales… Sans doute pour lui signifier qu'un responsable doit veiller à ce que tout soit en ordre, propre et net. Ensuite, Maxence bannit l'évêque loin de Rome. Marcel mourut en exil peu de temps après. (Le 5 janvier 309, dit-on) Une victime de la persécution ?

Le pauvre empereur Maxence n'en avait pas encore fini avec le fanatisme de ces Chrétiens. Décidément, les "persécutions" ne leur avaient rien appris !. Pourtant, plus par peur des représailles que pour lui complaire, les fidèles et le clergé chrétiens de Rome avaient élu comme évêque un certain Eusèbe. Ce Grec, plus modéré envers les "lapsi" que l'impitoyable pape Marcel, pensait quant à lui que "ces malheureux avaient le droit de pleurer leurs crimes". Allez, c'est déjà ça !

Mais le clan des coriaces n'avait pas désarmé. À peine Eusèbe élu, ils lui opposèrent un antipape, un prêtre nommé Héraclius, "qui contesta à ceux qui étaient tombés le droit de se repentir". Et aussitôt, à la grande exaspération de Maxence, de nouvelles émeutes entre Chrétiens durs et mous ensanglantent la Ville

Celui-ci ne lésina pas : Eusèbe et Héraclius furent renvoyés dos-à-dos. Les deux évêques, le pape et l'antipape, le modéré et l'intransigeant, furent bannis en Sicile.

Eusèbe mourut en exil après peu de temps. L'histoire ignore le sort de l'implacable Héraclius.

Encore deux victimes de plus pour la "persécution de Dioclétien " ?

Maxence avait compris ! Pendant plus de deux ans, il ne permit pas l'élection d'un évêque à Rome. Mais en 312, il dut changer de cap : Constantin, qui gouvernait la Gaule et la Grande-Bretagne et qui favorisait les Chrétiens, allait l'attaquer. S'il voulait résister efficacement à l'offensive de ce rival, Maxence devait impérativement rallier à sa cause ses turbulents sujets chrétiens, particulièrement nombreux dans ses territoires en Italie et en Afrique. Il autorisa donc la désignation comme pape d'un certain Miltiade (ou Melchiade), un Africain, et rendit à l'Église les biens qui avaient été spoliés lors de la persécution.

Cependant, les mesures pro-chrétiennes de Maxence ne furent pas suffisantes. Les armées de Constantin fondirent sur Rome, écrasèrent celles de son concurrent d'abord à Turin, puis au Pont Milvius, dans les faubourgs de Rome. C'est là que Maxence trouva la mort, noyé dans le Tibre par où il tentait de s'enfuir avec ses troupes débandées.

Après avoir vaincu Maxence, Constantin s'allia à Licinius (Milan mars 313). Ce Licinius, qui contrôlait déjà les Balkans, rêvait de conquérir l'Orient que gouvernait ce Maximin Daïa qui avait longtemps poursuivi la politique de répression envers les Chrétiens, très nombreux dans la partie orientale de l'Empire. Les deux empereurs, en s'alliant, avaient tout intérêt à rallier ces activistes à leur cause. Constantin et Licinius accordèrent donc aux Chrétiens la liberté de célébrer leur culte. On leur rendit également leurs églises et leurs terres.

Aucun "édit" ne fut signé à Milan en 313. Il s'agissait seulement d'une déclaration de principe faite par deux gouvernants païens (Constantin n'était encore ni baptisé ni converti), une arme de propagande, destinée à se procurer des intelligences en territoire ennemi. Il ne faut donc pas considérer cet "Édit de Milan" comme le signe tangible de la conversion de Constantin, ou comme l'expression du "Triomphe de la Croix" ou encore comme une preuve de la vérité de la Foi victorieuse des ténèbres du paganisme !

La fine tactique (ou la tolérance hypocrite, si vous préférez) de Constantin et de Licinius porta rapidement ses fruits. Dès avril 313, Licinius écrasa les forces de Maximin Daïa, puis le massacra, lui et toute sa petite famille.

Cependant, après sa victoire, Licinius ne tint guère les promesses faites aux Chrétiens. Grossière erreur que de commettre la même bévue que Maximin Daïa alors que Constantin, lui, continuait à soutenir les Chrétiens. À son tour, Licinius fut si bien affaibli par la "cinquième colonne" chrétienne qu'il fut, à son tour, vaincu et tué par son ancien allié.

En 324, Constantin restait seul maître de l'Empire romain. Un empire bientôt chrétien !



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