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Dèce

(Cneius Messius Decius, 249 à 251)




Notice biographique

Dèce est né à Sirmium (aujourd'hui Mitrovica en Serbie) dans les premières années du IIIe siècle. Nous ne savons pratiquement rien de lui avant 249, année où il fut proclamé empereur par l'armée du Danube. Tout ce que l'on peut présumer à son sujet, c'est qu'à l'instar de tous les autres souverains d'origine balkanique qui gouvernèrent Rome à cette époque, sa carrière fut purement militaire. Cependant, au cours du règne de Philippe l'Arabe, Dèce semble avoir atteint un grade suffisamment élevé pour lui permettre de siéger au Sénat.

En 249, Philippe l'Arabe régnait depuis plus de quatre ans. Un peu partout dans l'Empire, le mécontentement grandissait.

Le peuple s'indignait de voir les Chrétiens, très nombreux dans l'entourage de l'empereur qui lui-même était Chrétien, accaparer tous les honneurs, toutes les fonctions lucratives.

Quant à la toute-puissante armée, elle était excédée par la politique de faiblesse de l'empereur envers les Perses. Plutôt que de vaincre cet adversaire affaibli par une longue suite de victoires romaines, Philippe n'avait-il pas préféré acheter la paix à l'ennemi héréditaire en lui versant un tribut annuel colossal ?

Après l'échec de l'usurpation d'un certain Jotapianus en Syrie, ce fut au tour des légionnaires stationnés sur le Danube d'acclamer l'un de leurs sous-officiers, un nommé Pacatianus. Cette révolte, d'ailleurs étouffée dans l'œuf, avait, dès qu'elle fut connue à Rome, fortement ému Philippe l'Arabe qui s'était répandu en larmes devant les dignes Sénateurs romains.

Il revint, dit-on, au Sénateur Dèce, d'atténuer les craintes impériales : ce Pacatianus, ce n'était rien… de l'écume, qui retomberait aussi vite qu'elle était montée ! Il fallait traiter toute cette agitation par le mépris.

L'échec de la révolte de Pacatianus, tué par ses propres troupes, donna bien vite raison à Dèce. L'empereur Philippe songea alors que cet homme de bon conseil, à la fois honorable sénateur et général respecté, était la personne toute désignée pour aller remettre au pas ces turbulentes légions danubiennes.

Erreur fatale ! Dès l'arrivée de Dèce, les soldats, toujours mécontents, l'acclamèrent comme empereur malgré ses plus vives protestations. Bon gré, mal gré, pour sauver sa peau menacée soit par l'empereur Philippe, soit par les soldats surexcités, Dèce fut contraint de se mettre à la tête des mutins et de marcher sur l'Italie afin de détrôner son concurrent.

La bataille décisive se déroula près de Vérone. L'empereur Philippe l'Arabe fut tué, tandis que son fils (Philippe Junior), qu'il avait associé au trône, était massacré à Rome par les Prétoriens.

Les historiens présentent volontiers Dèce comme un vieux réactionnaire qui, en persécutant les Chrétiens, aurait vainement tenté de restaurer l'unité morale d'un Empire romain déjà moribond. Mais, en fait, Dèce ne régna que deux ans et il consacra le plus clair de son court règne à batailler aux frontières contre les Goths qui commençaient à causer de sérieux ennuis aux Romains dans les Balkans. Il lui resta donc sans doute pas beaucoup de temps pour se préoccuper d'éventuels problèmes d'assimilation socio-religio-culturelle que lui aurait posés l'expansion du christianisme… Surtout si ces "Premiers Chrétiens" n'étaient que les doux rêveurs inoffensifs qu'on se plait à nous dépeindre ! Mais nous reviendrons plus loin et plus longuement à cette "Persécution de Dèce".

Faute de sources historiques (tant chrétiennes que païennes), le règne de Dèce est assez mal connu. Même la chronologie est controversée. Ce dont nous sommes à peu près sûrs se résume en quelques lignes :

Dès son accession au trône (été 249 ?), il nomma co-empereur (Augustus) ses deux fils Herennius et Hostilien, puis il se rendit à Rome afin de recevoir l'hommage du Sénat.

En mars 251 (?) il partit en campagne contre les Goths et jamais n'en revint. Les légions romaines, supérieures par le nombre et la discipline, encerclèrent les hordes barbares dans un marécage, ne leur laissant d'autre choix que de combattre ou de mourir. Les Goths se battirent donc…, et à la fin de la journée, les corps inanimés de Dèce et de son fils Herennius gisaient au fond du marais, entourés d'une multitude de cadavres de légionnaires romains (juin 251)


La persécution de Dèce

Bien que le texte de l'édit persécuteur ne nous soit pas parvenu et que les chroniqueurs païens ne disent mot des persécutions chrétiennes, la majorité des historiens modernes pensent que l'empereur Dèce, souhaitant rétablir l'unité idéologique de l'Empire, aurait obligé tous les citoyens romains à manifester leur patriotisme. Tous, sous peine de mort, auraient été tenus d'offrir un sacrifice aux dieux tutélaires de l'État. On nous dit également que très nombreux furent les Chrétiens qui refusèrent cette concession à l'idolâtrie et connurent la fin glorieuse des martyrs.

Certes, il semble évident que, pendant le règne de Dèce, le libre exercice de la religion était devenu moins facile qu'aux époques précédentes. Mais faut-il pour autant parler de "persécution générale" ?

S'il s'agissait réellement de restaurer l'unité idéologique de l'Empire par le biais de l'éradication générale, radicale et impitoyable d'une religion "déviante", bon nombre de faits rapportés par des auteurs chrétiens contemporains s'expliquent assez difficilement. Pour un martyr avéré (ou soi-disant tel), comme, par exemple, le pape Fabien, exécuté à Rome au début de l'année 250, combien de Chrétiens, même parmi les plus éminents, échappent à toute poursuite avec une facilité confondante !

Alors que l'édit prévoyait, dit-on, la mort pour tous les irréductibles Chrétiens, le grand saint Cyprien de Carthage se retire simplement dans sa maison de campagne et, de là, continue à diriger ses ouailles !

Son collègue d'Alexandrie connaît, grosso modo, le même sort.

Quant au grand théologien Origène, son cas est encore plus bizarre. Lui, il est arrêté, horriblement torturé, paraît-il… et puis on le relaxe, comme s'il ne s'était rien passé ! D'autres Chrétiens sont condamnés au bagne…

D'autres sont libérés après avoir "témoigné de leur foi" devant le juge romain !

Et tout cela alors que l'édit perdu de Dèce ne prescrivait, paraît-il, qu'une seule peine - la mort - pour tous ceux qui refusaient de sacrifier aux dieux de l'Empire.

Les lois romaines n'étaient guère susceptibles d'interprétation, que je sache ? Dura lex sed lex n'est pas un proverbe latin pour des prunes !

En outre, la portée effective de l'édit pose aussi problème.

S'agissait-il réellement d'obliger réellement tous les habitants de l'Empire, sans exception, à sacrifier aux dieux ?

Au moment où des envahisseurs menaçaient toutes les frontières, était-il bien raisonnable d'envisager une mesure d'une telle ampleur, source de désordres infinis et d'innombrable paperasserie ?

Il serait un peu trop fastidieux d'exposer ici toutes les incohérences qui surgissent si l'on accepte la version (officielle) d'un édit de persécution universelle que Dèce aurait promulgué afin d'éradiquer une innocente religion au seul motif que cette doctrine aurait menacé la cohésion de l'Empire. Mieux vaut en venir directement à ce qui, à mon avis, s'est réellement passé.

Quand Dèce prend le pouvoir en 249, il a quelques bonnes raisons de se méfier des Chrétiens, ces coreligionnaires de Philippe l'Arabe, son prédécesseur assassiné.

À la fin de la campagne de Perse, en 244, et alors qu'au vu de la situation militaire, on se dirigeait plutôt vers un statu quo ante, Philippe avait, nous l'avons dit, signé avec Sapor, le Roi des Rois, un traité de paix humiliant pour Rome. Dèce avait de fort bonnes raisons de soupçonner les Chrétiens d'être à l'origine cette paix bâclée.

Il faut dire que Sapor, pour briser le pouvoir exorbitant des mages zoroastriens, ainsi que pour rallier à sa personne les dissidents de Rome au moment où il allait se lancer à la conquête des provinces orientales de l'Empire, avait autorisé Mani, un Babylonien longtemps adepte d'une secte chrétienne, à prêcher sa doctrine dans ses états.

Or, pour le Roi des Rois Sapor, pour l'empereur romain Dèce, et même pour les doctrinaires chrétiens de ce temps, la doctrine de Mani n'était qu'une hérésie chrétienne parmi d'autres. Et comme ce "christianisme rebouilli à la sauce mésopotamienne" était en passe de devenir la religion officielle de l'Empire perse, il n'y avait rien d'étonnant à ce que l'empereur Dèce impute aux Chrétiens la responsabilité du désastreux traité de 244. Car pour lui, c'était clair : une paix honteuse avait été achetée par un traité d'amitié entre Philippe, empereur crypto-chrétien, et Sapor, Roi des Rois crypto-manichéen et de ce fait crypto-chrétien lui aussi.

En outre, si, en Orient, la collusion des Chrétiens avec l'ennemi héréditaire perse était probable, en Occident leur trahison était certaine. À la mort de Philippe l'Arabe, son frère Priscus, Chrétien comme toute la famille de l'empereur assassiné, s'était révolté et avait fait alliance avec les terribles Goths. Soutenu par ses dangereux alliés, Priscus avait revêtu la pourpre impériale et menaçait de marcher sur Rome.

Si l'Empire romain voulait survivre, il était donc impératif de contrer la menace chrétienne. Mais comment ?

Philippe l'Arabe avait placé tous ses amis chrétiens aux postes de commandement.

Une épuration radicale s'imposait d'urgence. Ce fut ce qu'on appellera "la persécution de Dèce"

Dans un premier temps, Dèce fit exécuter les personnages les plus en vue de l'ancien régime dont la plupart, naturellement, étaient chrétiens.

Après avoir supprimé les inspirateurs de la politique de Philippe l'Arabe, Dèce ordonna qu'on interroge les principaux dignitaires chrétiens sur leurs relations avec les ennemis de l'État, avec Priscus ou avec l'ennemi perse.

C'est dans ce cadre que le grand Origène fut arrêté et torturé. Coupable de haute trahison ou non, Origène qui, dans sa jeunesse avait, pour la plus grande gloire de Dieu, supporté la douleur d'une castration volontaire, résista à tous les mauvais traitements. Faute d'aveux et de preuves, il fut relâché.

Cyprien à Carthage et Denys à Alexandrie, eux, préférèrent prendre la poudre d'escampette.

Mais si Origène était resté silencieux sous la torture, les arguments frappants des bourreaux romains avaient su convaincre d'autres Chrétiens. Ils se montrèrent intarissables : la liste des suspects de connivence avec l'ennemi s'allongeait de jour en jour. L'empereur Dèce se résigna alors à appliquer dans toute sa rigueur la législation de Trajan (ce prince qu'il admirait entre tous !). Selon cette jurisprudence, les Chrétiens opiniâtres, s'ils avaient enfreint la loi, étaient passibles de la peine de mort.

La mesure de Dèce, qui n'était pourtant que l'application stricte d'un vieux règlement, sema la panique dans les rangs chrétiens. La communauté vivait en paix depuis si longtemps !

Certes, parmi ces Chrétiens "de base", beaucoup (les soldats convertis par exemple) savaient qu'ils n'avaient rien à craindre et nul ne pourrait jamais douter de leur loyauté envers l'Empire. Mais, pour bien d'autres, à la conscience moins nette ou simplement d'un naturel plus craintif, la remise en vigueur de l'antique réglementation de Trajan fut une véritable tragédie. Certains, même sans faire l'objet d'aucune pression, se ruèrent dans les temples et s'empressèrent de sacrifier aux dieux. D'autres soudoyèrent l'un ou l'autre fonctionnaire afin d'obtenir des certificats attestant qu'ils avaient brûlé quelques grains d'encens devant la statue de l'empereur. Mesure prophylactique !

Si ces Chrétiens esquivaient la persécution sans trop de problèmes, d'autres, liés aux mouvements les plus radicaux du christianisme, n'avaient aucune chance d'échapper aux poursuites : leur réputation d'extrémistes était connue urbi et orbi.

Beaucoup de ces illuminés, imitant Cyprien de Carthage et Denys d'Alexandrie, entrèrent dans la clandestinité. Étant entendu qu'il ne s'agissait pas "de prendre le maquis" passivement ! Cette expression doit être prise dans le sens qu'elle avait à l'époque de la Seconde Guerre mondiale. C'est seulement, ainsi, en entrant dans "l'Église militante", que le titre hautement respecté de "Témoin de la Foi", de "Confesseur" pouvait être conquis.

Mais si l'on voulait quand même mériter le titre glorieux de "confesseur" sans entrer dans la Résistance, il fallait agir comme les personnages les plus vénérés de la secte. Pour eux, c'était un péché infâme que de tenter seulement de se soustraire à la persécution. Convoqué au tribunal, il fallait s'y rendre l'œil en fleur et la fleur aux dents, injurier empereur, magistrats et bourreaux, subir les supplices en louant Dieu et, si le juge se montrait inflexible, accepter la mort glorieuse des martyrs comme récompense suprême.

Il est impossible de se livrer à une estimation du nombre des victimes de cette répression. Tout porte cependant à croire qu'il fut limité : dès 251, à peine quelques mois après la fin de cette persécution, nous retrouvons les communautés chrétiennes de Rome et de Carthage plus florissantes que jamais, peuplées et actives, organisant des réunions et soutenant financièrement ses adhérents en difficulté !

Les condamnations à mort punissaient des crimes de haute trahison ou des délits de droit commun, pas des motifs religieux, et elles furent sans doute rares. Et naturellement, les grandes métropoles et les régions où les Chrétiens extrémistes étaient le plus nombreux (Afrique, Antioche, Rome, Alexandrie) furent plus durement frappées.

L'ampleur et le soin apporté aux recherches dépendaient aussi du zèle des magistrats locaux et de leur fidélité à l'empereur Dèce, dont le pouvoir n'eut guère le temps de s'établir fermement partout dans l'Empire. De plus, des pogroms anti-chrétiens pouvaient toujours survenir.

Bien sûr, les auteurs chrétiens contemporains ne nous parlent guère que des martyrs et des lapsi, ces faibles qui renièrent leur foi. C'est bien normal. Les martyrs étaient la gloire de l'Église et la réintégration des lapsi posait un douloureux problème pénitentiel. Mais ce serait une erreur de réduire la communauté chrétienne de l'époque à ces deux groupes de croyants, à l'attitude si violemment contrastée. L'Église n'était pas constituée uniquement de héros ou de lâches. Et puisque nous savons par saint Cyprien que, même au plus fort de la "persécution", des "Confesseurs" intervinrent afin que certains lapsi soient réintégrés dans la "communion de l'Église", c'est que cette Église ne se réduisait pas à ces deux catégories de fidèles… et que tous les "Confesseurs de la Foi" ne périssaient pas sous la griffe des lions ou sous la hache du bourreau !

Plus que tout autre indice, c'est la diversité de comportement des Chrétiens lors de la "persécution" qui montre que l'édit présumé de Dèce ne pouvait être ce que disent la majorité des historiens chrétiens.

Si cette loi stipulait uniquement que tous les citoyens de l'Empire devaient sacrifier aux dieux sous peine de mort, la marge de manœuvre et d'appréciation des magistrats chargés de l'appliquer aurait été quasi nulle. Et comme, en général, les rescrits impériaux ne laissaient guère de place à l'interprétation, et les prétoires se seraient bien vite transformés en charniers.

Et comme aucune source historique ne nous décrit de telles hécatombes…



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